« Nous sommes très amers du peu de cas qui est fait de la sécurité privée », déclare Frédéric Gauthey, président du GES (Groupement des entreprises de sécurité), dans une interview à AEF info. Les agents de sécurité privée « font un travail remarquable », « nécessaire au bon fonctionnement de l’économie et des institutions », souligne-t-il. Or « du côté de l’État, il n’y a personne, en particulier au sein de notre ministère de tutelle, pour se féliciter du courage et du professionnalisme de nos salariés ».
Frédéric Gauthey évoque également les conséquences économiques de l’épidémie de Covid-19. « Certaines entreprises sont très touchées, et ont parfois un chiffre d’affaires proche de zéro », affirme-t-il, craignant des faillites. Le président du GES indique en outre que l’organisation patronale va « rapidement » faire des propositions au sujet de la prise de température par les agents de sécurité.
Frédéric Gauthey : L’activité a chuté d’environ 20 à 25 % dans la branche, tous segments confondus. Mais il y a des disparités très fortes entre les secteurs d’activité : dans la grande distribution alimentaire, l’activité peut être en hausse et, dans l’industrie, l’activité n’est pas au niveau antérieur à la crise, mais se maintient. À l’inverse, la distribution non alimentaire et l’évènementiel sont complètement à l’arrêt. Certaines entreprises sont très touchées, et ont parfois un chiffre d’affaires proche de zéro.
Il peut également y avoir au sein d’une même entreprise un excès d’activité à un endroit, obligeant à faire marcher le compteur des heures supplémentaires (lire sur AEF info), et une très forte baisse dans une autre zone géographique, donc un chômage partiel nécessaire. Dans notre situation, le principe des vases communicants ne s’applique pas, les demandes de prestations supplémentaires ne couvrent pas les pertes d’activité.
Frédéric Gauthey : Oui, bien sûr ! Comme j’ai eu déjà l’occasion de le dire à de nombreuses reprises, le secteur de la sécurité privée en France est au bord du gouffre (lire sur AEF info). Nos marges flirtent avec 0 %, donc les entreprises qui n’ont pas de chiffre d’affaires, pas de trésorerie pendant deux mois sont dans une situation extrêmement périlleuse. L’État a certes mis en place le chômage partiel, mais il reste un certain nombre de nos salariés dans les fonctions RH ou financière, que nous devons maintenir en activité et donc payer… Cela pose de très gros problèmes, en particulier pour les petites structures.
Frédéric Gauthey : En temps normal, il manque environ 15 % d’agents dans notre métier. Une des problématiques actuelles concerne les cartes professionnelles, dont certaines étaient en cours de renouvellement ou allaient l’être au moment de la mise en place du confinement. Leur durée de validité a été prolongée (lire sur AEF info), mais il va falloir voir comment les agents pourront effectuer leur MAC ensuite pour obtenir leur renouvellement (lire sur AEF info). Il y a un risque que nous devions faire face à un manque supplémentaire d’agents de sécurité du fait d’un problème purement administratif.
C’est pour cela que le GES a fait des propositions, tout comme l’Unafos, pour que le MAC puisse se faire à distance, et non pas en présentiel. Je pense qu’il faut vivre avec son temps. Peut-être que cette période exceptionnelle sera aussi l’occasion de rebalayer plus largement les dispositifs formation existants et de voir s’il n’y a pas des choses que nous pourrions faire autrement et mieux mais à distance (lire sur AEF info). C’est un point sur lequel nous avons bon espoir d’aboutir, bien sûr en nous assurant de la bonne atteinte des objectifs pédagogiques et d’apprentissage : notre profession étant réglementée, le dialogue est ici essentiel avec nos autorités de tutelle.
Une autre question se pose : le déconfinement va-t-il requérir davantage d’agents de sécurité privée pendant quelques mois ? Nous n’en savons rien mais ce n’est pas à exclure tant la soif de liberté de nos concitoyens risque d’être importante et difficilement canalisable d’une part, et d’autre part la volonté des entreprises françaises de rattraper le retard.
Frédéric Gauthey : Certaines mesures comme le chômage partiel, trouvent tout leur sens et leur justification. Par contre, la prime de 1 000 euros arrive comme un cheveu sur la soupe. Le ministre de l’Économie et des Finances en a parlé sans s’assurer que tous les secteurs économiques seraient capables de la verser. Or nous en sommes incapables. Les entreprises ont perdu 20 %, 50 %, parfois même 100 % de leur activité, comment imaginer qu’elles puissent verser une prime, fût-elle défiscalisée ?
Outre cette impossibilité, il y a également un problème de timing. L’annonce de la prime a été faite en début de crise. Cette proposition est totalement décalée par rapport au déroulement de la crise et intervient au moment où nous sommes dans l’incapacité de fournir des masques à tous nos salariés (lire sur AEF info). Il ne faudrait pas que la prime soit comprise comme une « compensation » au fait que nos salariés ne disposent pas systématiquement de masques. La vie de nos salariés ne vaut pas 1 000 euros !
Nous avons proposé au ministre de l’Économie qu’il supprime nos cotisations patronales pour les mois d’avril et mai, afin que nous puissions verser une prime à nos agents (lire sur AEF info). Cette mesure nous permettrait à la fois de les récompenser et de financer la prime, car l’État nous aiderait. Nous avons fait cette proposition au ministre le 10 avril et nous attendons sa réponse avec impatience.
Frédéric Gauthey : Avant de répondre à votre question, je souhaiterais m’étonner que certains de nos salariés côtoient sur leur lieu de travail des salariés de nos clients – par exemple dans les hôpitaux ou la grande distribution alimentaire — parfaitement dotés en équipements de protection individuelle (EPI) dont des masques de protection. Il nous aurait semblé pertinent que notre secteur bénéficie d’un approvisionnement prioritaire en EPI une fois les besoins régaliens et sanitaires satisfaits. Hélas, il n’en a pas été ainsi.
Chacun se débrouille comme il peut. Ce n’est pas spécifique à la sécurité privée, toutes les entreprises de France essaient de s’approvisionner. Au GES, nous avons décidé de constituer une base de données, régulièrement mise à jour et enrichie, des fournisseurs, en particulier de masques, de façon à ensuite la mettre à disposition de nos adhérents. Très souvent, la difficulté réside dans la quantité d’approvisionnement. Les fournisseurs ne vendent pas 100 masques, mais 100 000 ou 200 000.
Il est quand même étonnant pour nous, entreprises de sécurité privée, de voir le revirement du gouvernement au sujet des masques. Au début de la crise, on nous dit que ce n’est pas nécessaire, que ça ne sert à rien, puis à partir du moment où l’État semble en mesure d’approvisionner ses propres services, tout d’un coup les masques deviennent fortement recommandés voire nécessaires !
Frédéric Gauthey : Ce point a fait l’objet d’une question posée par le GES lors du collège du Cnaps, le 11 mars. Il nous a été répondu que cela ne faisait pas partie du périmètre de la sécurité privée défini par le code de la sécurité intérieure, et qu’il y avait des problèmes en termes de collecte des données. Depuis, nous avons relancé la DLPAJ à deux reprises sans obtenir de réponse définitive sur le sujet, car il y a une pression grandissante par nos clients pour faire effectuer la prise de température par nos agents. Nous sommes pris entre le marteau et l’enclume.
Or, le ministère du Travail a récemment fait une communication autorisant la prise de température dans les entreprises pour leur personnel, par des acteurs externes ou internes. Il va certainement falloir des évolutions de doctrine, et le GES va faire des propositions en ce sens très rapidement. Ce processus doit être encadré, on ne doit pas faire n’importe quoi, et on doit s’assurer que la responsabilité reste bien là où elle doit être, c’est-à-dire au niveau des donneurs d’ordre.
Frédéric Gauthey : Nos salariés sont des travailleurs de l’ombre, dont la présence est nécessaire au bon fonctionnement de l’économie et des institutions. Nous trouvons que nos salariés font un travail remarquable, qu’ils sont courageux. Ils assurent leur rôle de force d’appoint aux forces régaliennes de ce pays pour contribuer à la sécurité de la Nation.
Le problème, c’est que nous sommes les seuls, patrons de ces entreprises, à le dire et le faire savoir. Du côté de l’État, il n’y a personne, en particulier au sein de notre ministère de tutelle, pour se féliciter du courage et du professionnalisme de nos salariés. Seul le président de la République, lors de son allocution télévisée lundi 13 avril, les a très rapidement mentionnés. Nous sommes très amers du peu de cas qui est fait de la sécurité privée, d’autant qu’encore récemment, le gouvernement faisait des grands discours sur le continuum de sécurité. Force est de constater que ce n’était que des mots.
Il suffit d’ailleurs de regarder chez quelques-uns de nos voisins européens, en Espagne, en Belgique, au Pays-Bas, au Royaume-Uni, où les pouvoirs publics ont exprimé publiquement leur reconnaissance par rapport au rôle joué par la sécurité privée durant cette crise, pour se rendre compte de la faible considération dont jouit la sécurité privée en France auprès des pouvoirs publics.
Frédéric Gauthey : Nous souhaitions faire passer d’ici mars 2021 les principales réformes de fond de notre secteur sur la garantie financière, la limitation de la sous-traitance, ou l’indice des coûts de revient des services de sécurité privée, de façon à pouvoir faire un grand bond en avant au niveau des rémunérations en 2022 en échange de contreparties de la part des organisations syndicales de branche (lire sur AEF info). Le livre blanc de la sécurité intérieure, pour lequel nous avons produit une contribution dès le mois d’octobre (lire sur AEF info), a pris du retard. Et maintenant, personne ne sait combien de temps la crise sanitaire va durer. Cela remet en cause ce que nous avions en tête.
Sur la refonte des classifications avec les partenaires sociaux, le GES devait travailler d’abord sur un projet, puis nous devions discuter avec les organisations syndicales de branche pour finalement aboutir au plus tard en mars 2021. S’il est clair que les circonstances actuelles ne nous aident pas, nous sommes encore dans le timing et ce sujet devrait faire l’objet, dès que possible, des premiers sujets sur lesquels nous retravaillerons avec les partenaires sociaux.
Entretien avec Marie DESRUMAUX (AEF), 21 avril 2020
Dépêche n° 626222 reproduite avec l’aimable autorisation de l’Agence de Presse AEFinfo.
Entretien avec Marie DESRUMAUX (AEF), 21 avril 2020
Dépêche n° 626222 reproduite avec l’aimable autorisation de l’Agence de Presse AEFinfo.
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