DÉPÊCHE N°644125 AEF Info, par Marie Desrumaux Publiée le 27 01 2021, avec leur aimable autorisation de republication
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Dans une interview à AEF info, l’ex-président du GES dresse un bilan de son action à la tête de l’organisation patronale de surveillance humaine née de la fusion du Snes et de l’USP en juin 2019.
« Nous avons très vite proposé un programme pour la sécurité privée, visant une meilleure régulation économique du secteur », affirme-t-il, soulignant la « volonté inébranlable » du syndicat de réformer « en profondeur ». « J’ai toujours pensé que la majorité des mesures défendues par le GES sont en fait des positions que les syndicats de salariés pourraient défendre ou défendent eux-mêmes. »
Avec du recul, Frédéric Gauthey se dit par ailleurs surpris de « l’importance de l’ego » dans la sécurité privée. « On fait de beaucoup de problèmes des questions de personnes. »
Frédéric Gauthey : J’ai quitté la présidence du GES avec un sentiment d’inachevé, puisque nous étions dans la dernière ligne droite pour la proposition de loi relative à la sécurité globale, dont nous attendons beaucoup de l’examen au Sénat (lire sur AEF info). Mais je suis également rassuré car la succession a été très bien assurée, par quelqu’un en qui j’ai toute confiance, pour mener à bien les chantiers que le GES a initié sous ma présidence.
Luc Guilmin a été élu à l’unanimité, par les représentants des grandes entreprises, des moyennes entreprises, et des petites entreprises. Il était au bureau du GES, donc il a toujours été au cœur des travaux et des propositions de l’organisation. Pour structurer et refondre en profondeur un marché et utiliser les bonnes pratiques existant dans les autres pays, il est important que les leaders prennent leurs responsabilités en s’investissant dans les organisations patronales. Securitas l’a fait et c’est très bien ainsi (lire sur AEF info).
Quant à l’homme, il a un point de vue et une expérience légèrement différents qui enrichissent les débats, une humilité par rapport aux problèmes qui le rend très réceptif aux idées des autres. De plus, il a tout à fait compris qu’un syndicat comme le GES est fait d’entreprises de toutes tailles. Je suis convaincu qu’il saura utiliser les talents des uns et des autres pour faire avancer la profession.
Frédéric Gauthey : À l’issue d’une phase de maturation, nous avons très vite proposé un programme pour la sécurité privée, visant une meilleure régulation économique du secteur (lire sur AEF info). Nous avons également renoué le dialogue avec les organisations syndicales de branche et nous avons proposé dans le cadre de notre agenda social une évolution salariale assez révolutionnaire (lire sur AEF info) que nous avons maintenue malgré le Covid. C’est dire notre volonté inébranlable de réformer le secteur en profondeur. Nous avons aussi ouvert le chantier de la refonte des classifications de métiers (lire sur AEF info), qui sont anciennes et ne permettent pas de bien vendre les compétences de nos salariés à nos clients et donc tirent le salaire de nos agents vers le bas. Cette révision des classifications s’inscrit, en contrepartie, dans la perspective de hausse de 10 % de la masse salariale globale prévue par l’accord de novembre 2019 sur les salaires (lire sur AEF info).
Frédéric Gauthey : C’est un travail d’équipe, avec un bureau qui a constamment été force de propositions et un conseil d’administration qui nous a toujours suivis dans nos propositions et auquel je souhaite rendre un vibrant hommage. Nos travaux se sont déroulés dans une excellente ambiance, presque amicale : finies les oppositions artificielles d’antan, entretenues par tel ou tel pour diviser et donc mieux régner, entre grande entreprise et PME, entre patrimoniales et non patrimoniales. Nos comptes de résultat ont hélas tous la même tête… Le travail en mode projet que j’ai mis en place se révèle très efficace et plus agile que le fonctionnement par commissions un peu rouillé qui existait au Snes et à l’USP. Cela permet aux uns et aux autres de s’impliquer et d’apporter leur valeur ajoutée aux travaux du conseil d’administration.
Mais je pense que la réussite majeure du GES est d’avoir établi une doctrine, avec une argumentation, sur l’ensemble des sujets que nous portons dans le cadre de l’examen de la proposition de loi sur la sécurité globale.
C’est bien sûr le cas de la garantie financière. Nous avons mis de l’ordre dans nos idées, et dans le cadre d’un groupe de travail avec des acteurs qui œuvrent dans le secteur de la garantie financière, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait garantir les cotisations sociales. En cas de défaut, c’est l’État qui doit se substituer aux entreprises. Avec l’aide de cabinets spécialisés dans le droit de la concurrence, nous avons construit un projet de garantie financière qui tient la route, de sorte que personne ne pourra nous dire que notre projet est en fait une entrave à la libre concurrence (lire sur AEF info).
Contrairement à ce que j’ai pu lire récemment (lire sur AEF info), la garantie financière n’est pas un obstacle financier pour les entreprises, puisque selon les calculs que nous avons faits, le coût de la garantie financière serait de l’ordre de 1 000 euros par an pour une très petite entreprise. C’est une mesure nécessaire et incontestable pour mettre de l’ordre dans notre métier et faire disparaître ceux qui trichent en utilisant divers artifices (noms ou mandataires sociaux…) pour renaître de leurs cendres, créer une nouvelle entreprise, tirer les prix vers le bas et donc les marges de nos entreprises.
Nous avons par ailleurs proposé aux parlementaires de fixer un montant annuel de sous-traitance, vérifiable lors de l’examen des comptes. Le GES souhaite aussi qu’une entreprise ne puisse pas sous-traiter plus de 20 % d’un marché et demande l’interdiction de la sous-traitance au-delà du premier rang. En siégeant pendant 18 mois à la Cnac, j’ai pu constater que la majorité des problèmes concernaient la sous-traitance en cascade, bien sûr non déclarée formellement, avec ou sans la complicité du donneur d’ordre. C’est le terreau de toutes les irrégularités. Cela tire les prix et les conditions de travail vers le bas, et conduit à la paupérisation de notre secteur et des salaires de nos salariés.
En parallèle, nous avons décidé la mise en œuvre d’un indice des prix de revient des sociétés de sécurité privée à destination de l’écosystème de la sécurité privée grâce à l’aide d’un cabinet spécialisé dans la publication de ce genre d’indice, tout en ayant pris les dispositions qui s’imposent auprès d’un cabinet d’avocats spécialisé dans le droit de la concurrence. Ceci permettra à tous les membres de notre écosystème de mieux connaître les conditions économiques dans lesquelles nous exerçons notre métier.
Frédéric Gauthey : En vue de l’examen de la proposition de loi au Sénat, nous avons aussi pointé un certain nombre de failles dans la réglementation actuelle, en particulier sur la sécurité incendie et les systèmes de paramétrage d’outils de sécurité électronique, qui ne font pas partie du livre VI du code de la sécurité intérieure et qui, a minima, ne font pas l’objet d’un contrôle de moralité. Comment l’État peut-il fermer les yeux par rapport à l’absence de contrôle de moralité dans ce secteur ? Faut-il un drame dans une tour de La Défense avec un agent de sécurité incendie malveillant pour que l’État ouvre les yeux et prenne enfin ses responsabilités ?
De la même façon, comment comprendre la volonté de supprimer la VAE comme modalité d’acquisition d’une certification, préalable à l’obtention d’une carte professionnelle d’agent de sécurité privée comme le voudrait un amendement adopté par l’Assemblée Nationale (lire sur AEF info) ? Cela n’a aucun sens et doit donc être modifié au Sénat.
Sur l’apprentissage, nous pensons que la profession doit remplir son rôle citoyen en essayant de lutter contre ce fléau qu’est le chômage des jeunes. Nous proposons d’embaucher 20 000 apprentis sur quatre ans, à condition qu’une carte professionnelle spécifique puisse leur être délivrée. Cela nous permettrait d’attirer de nouveaux profils dans notre filière. Nous souhaitons également donner des perspectives aux jeunes embauchés avec le nouveau diplôme de management intermédiaire (lire sur AEF info). Par ces mesures, nous voulons créer une véritable filière de la sécurité privée.
Nous avons, enfin, toujours voulu avoir une relation professionnelle avec l’État, avec les ministères, c’est-à-dire élaborer des projets réfléchis, évalués, solides. Nos entreprises ne se payent pas des mots : être à la hauteur des attentes, citoyennes, étatiques, salariales, qualitatives, nécessite un travail de fond et sérieux.
Frédéric Gauthey : Je constate que tout prend du temps. Dans notre écosystème, composé de l’État et ses différents ministères, des organisations syndicales de branche, et de l’ensemble des entreprises, la volonté de réformer en profondeur notre secteur n’est pas égale partout.
Au sein de l’État, certains services, comme la DPSIS (lire sur AEF info), ont compris tout l’intérêt de notre démarche, qui consiste à donner un coup de pied dans la fourmilière de façon à faire de la sécurité privée française un alter ego de la sécurité privée en Espagne, au Portugal, en Allemagne, en Belgique. Et puis il y a d’autres services de l’État dont la devise pourrait être « il ne faut rien faire qui puisse freiner l’immobilisme ».
Au niveau des organisations syndicales de branche, certaines sont aussi plus intéressées que d’autres par les négociations sur la refonte des classifications, dans l’objectif de faire évoluer le modèle socio-économique pour donner de la souplesse et des marges de manœuvre aux entreprises et donc des salaires décents pour nos salariés.
Il en est de même pour les entreprises. Récemment, deux d’entre elles, et pas les plus insignifiantes, ont quitté le GES, montrant à nos yeux qu’elles ne se sentent pas concernées par les travaux de rénovation en profondeur de notre secteur.
On ne peut pas en permanence se plaindre de la situation de notre secteur, de son manque de reconnaissance par les pouvoirs publics, de certaines de ses pratiques qui font honte à notre métier et en même temps refuser de faire quoi que ce soit pour que justement cette situation change. C’est valable pour les entreprises de sécurité privée mais aussi pour les partenaires sociaux.
Le GES a dû et doit en permanence batailler pour convaincre toutes les parties prenantes qu’il faut aller de l’avant et réformer en profondeur notre secteur. Ne rien faire n’est pas une option, car c’est reculer.
Frédéric Gauthey : Je suis frappé de l’importance de l’ego dans cette branche, contrairement à d’autres dans lesquelles j’ai travaillé. On fait de beaucoup de problèmes des questions de personnes. On flatte l’ego de tel ou tel, ce qui aboutit à des réactions intempestives. C’est une erreur. Ce sont les idées et les organisations qui portent ces idées, qui importent. Les hommes ne sont que les « locataires » des organisations.
Je constate aussi qu’il y a des tendances masochistes, pour ne pas dire suicidaires, dans notre profession, qui, quand elle est proche d’un progrès majeur, est tentée de revenir en arrière. Par exemple, quand en 2019, le Snes et l’USP ont fusionné, on aurait pu penser que certaines pratiques et ceux qui s’y adonnaient, disparaîtraient des écrans car la fusion a été un désaveu majeur de l’immobilisme entretenu pendant de nombreuses années dans notre secteur. C’est une question de décence ! Il est clair que la montée en puissance de l’ADMS est une nouvelle tentative de diviser le secteur, selon la devise « diviser pour mieux régner, voire survivre ». C’est la porte ouverte au manque de crédibilité de notre secteur par rapport à l’État, qui s’était d’ailleurs réjoui de la réunion des deux syndicats (lire sur AEF info).
La question est aussi de savoir quelle est réellement la montée en puissance de cette association. Comme disait l’un de mes professeurs de mathématiques, « quatre fois zéro ça fait toujours zéro ». Je constate que les entreprises qui y ont adhéré étaient membres de l’USP et n’ont en fait jamais vraiment accepté la fusion entre le Snes et l’USP.
Par ailleurs, le GES s’est toujours refusé à tout clientélisme vis-à-vis de ses possibles adhérents et n’a jamais fait la chasse aux adhésions pour ne pas faire l’erreur de « la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf ». Nous n’en avons pas besoin… Nous sommes attachés à la convergence des valeurs entre, d’une part, le discours que nous prônons, notre programme, et, d’autre part, les entreprises intéressées de nous rejoindre. Par exemple, une entreprise qui sous-traite 70 % de son chiffre d’affaires annuel ou qui a une réputation sulfureuse dans la profession aura beaucoup de mal à adhérer à nos valeurs et donc à notre organisation.
Aujourd’hui, comme l’a dit Luc Guilmin (lire sur AEF info), le GES n’a pas de problème de légitimité. Il y a une seule organisation patronale représentative dans la surveillance humaine, le GES, qui a d’ailleurs proposé au Sesa, dans le cadre d’une alliance inédite, un siège permanent au sein de son conseil d’administration ce qui montre notre volonté d’unifier le secteur sur la base d’un programme. Le Sesa et le GES doivent resserrer leurs liens pour affronter les années à venir et pour être dans les meilleures dispositions possible afin de définir leur avenir, car elles partagent énormément de problématiques (lire sur AEF info).
Frédéric Gauthey : J’ai cru profondément en ce que j’ai fait : tirer ce métier du marasme financier et de son incognito, comme l’a montré le peu de reconnaissance du gouvernement envers nos agents de sécurité depuis le début de la crise sanitaire (lire sur AEF info). Je me suis battu pour améliorer la rentabilité des entreprises et la rémunération de nos salariés via un changement de paradigme. Comment s’habituer à l’idée que 50 % de nos agents soient payés au niveau du Smic ?
J’ai toujours pensé que la majorité des mesures défendues par le GES sont en fait des positions que les syndicats de salariés pourraient défendre ou défendent eux-mêmes. Par exemple la garantie financière, que porte notamment la CGT, ou la lutte contre la sous-traitance en cascade. Sur beaucoup de sujets, nous sommes en phase et je souhaite sincèrement que nous unissions nos forces, chacun avec ses propres canaux, pour faire entendre notre voix auprès de l’État et de la représentation nationale et in fine de nos donneurs d’ordre.
Me concernant, je ne sais pas encore ce que je vais faire, j’ai des projets, mais encore une fois n’en faisons pas un problème de personne. Ce qui est important, c’est le GES, ses idées, et la façon dont il va pouvoir convaincre les élus, l’État, ses donneurs d’ordre du bien-fondé de ses propositions pour que notre profession soit enfin reconnue à sa juste valeur.
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